samedi, mai 06, 2006

"De sang-froid", Truman Capote

Un regard humain?

« De sang-froid », où l’on sait que l’auteur a fait une plongée en apnée dans ce fait divers morbide, ce fait d’hiver, de froid, de massacre, de destruction. Il semble que ce soit une Vie pleine d’une ironie cruelle que Truman Capote ait tenté de s’expliquer avec ce livre. Cette Vie avec un grand « V », fille du destin, qui va et vient, s’interrompt, bouscule, blesse.

Dans une petite ville du Kansas, s’ébauche l’univers d’une famille unie, à qui tout réussit, les Clutter. Les Clutter, on le sait, sont les victimes futures de deux égarés, chiens perdus et galleux, Richard Eugene Hickock et Perry Edward Smith. On voit cette famille s’épanouir et le malaise grandit, on sent approcher l’instant, la cruauté suprême, la tragédie finale. On suit la route des deux tueurs, qui se rapproche inexorablement du bonheur fragile des Clutter. On sait qu’on ne peut rien éviter, on se laisse entraîner, traîner vers le drame. Et c’est le contact, fulgurant. Quatre morts sanglantes et déchirantes.

Après la mort des Clutter, encore groggy lecteur que l’on est, c’est l’enquête que l’on suit, d’un côté, la cavale des deux hommes de l’autre. Les déroutes populaires, l’ahurissement face à cette cruauté gratuite et stérile, les peurs, les colères, les désespoirs. Et puis ces deux hommes, ces deux humains, fous de leurs rêves irréalisables, dépassés par une existence faite de mauvais coups, de mauvais sorts, de mauvais amours, de mauvaises haines. Ils se perdent.

Ce livre a cette puissance terrible que dégage la fascination de l’auteur pour son sujet. On sent cette volonté de distanciation qu’il s’impose sans jamais pouvoir s’y résoudre. On s’attache et se lamente pour le bonheur détruit d’innocents, on s’expose au dégoût inspiré par les auteurs du crime pour finalement découvrir en eux deux pauvres âmes qui, dans leur cruauté, restent, au fond, des personnes, avec leurs souffrances et leurs inévitables et grandissants échecs. Et la pitié s’infiltre à notre insu.

Sans être un plaidoyer contre la peine de mort, on sent à quel point il n’est pas évident pour tous de se résoudre à donner cette mort que justement, on condamne d’avoir donné. L’indifférence ici n’est pas de mise. Après leur arrestation, leur procès et leur incarcération dans « l’Allée de la Mort », on suit les criminels, ces « petites crapules » jusqu’au bout. On sait aussi que leur fin est imminente, et on sent que l’auteur du livre ne l’espère pas. Qu’il les fait exister, minute après minute, ligne après ligne, qui leur donne de plus en plus de place, plus qu’aux victimes, même. Et pourtant, jamais ne verse dans l’interprétation ni le jugement…

Au final, le ton de ce récit non fictionnel perd de son côté journalistique, tout en gardant réserve et pudeur.

Et toujours, cette ironie cruelle :

Duntz demande à Smith : « Tout compris, combien d’argent avez-vous trouvé chez les Clutter ?

- Entre quarante et cinquante dollars. »

« De sang-froid » est un livre extrêmement bien construit, écrit. Douleur, bouleversement, écoeurement, déroute… Mais cela, faut-il le préciser ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Il est dans ma PAL !