lundi, mai 28, 2007

"Seuls", de Laurent Mauvignier

Rage et deliquescence

Tony aime Pauline depuis toujours. Mais c’est lui la bête et, elle, la belle. Comment associer ses cheveux gras à cette chevelure rousse ? Les lunettes sales au regard troublant ? Les dents jaunes au sourire perlé ?

Vivre, supporter un amour à contresens. Désirer sans assouvir, espérer sans être satisfait, voir pour mieux s’aveugler. C’est son dû, son fardeau. La regarder aimer d’autres hommes, l’écouter perdre ces faux amours, la soutenir quand elle vomit sa déprime et son alcool. C’était son quotidien lorsqu’ils étaient étudiants et habitaient ensemble. C’est ce qu’il espère oublier lorsqu’elle revient, après des années de séparation, loger chez lui se recoudre d’une rupture, avant une nouvelle vie dans un nouvel appartement.

C’est l’illusion du couple qu’il se donne, dont il se charme. L’espoir qu’elle devinera ce qu’il met tant d’effort à cacher : cette passion destructrice qui le ronge et l’anéantit à chaque respiration. Elle ne voit rien, ne comprend rien, ne ressent rien.

Cette illusion a besoin d’une fin : le déménagement de l’une et la disparition de l’autre. Cette dernière sera le déclenchement des révélations. Celles du père de Tony qui nous transmet les confessions de son fils, à qui jamais il n’a pu parler, qu’il n’a jamais pu écouter jusqu’à ce qu’il vienne tout raconter de Pauline et des ravages qu’elle a laissés en lui. Cette existence vide de sens à laquelle s’accroche ce vieil homme tout prêt à détester celle qui fit souffrir son fils mais qui semble être la seule à pouvoir l’aider à le retrouver.

Jusqu’à ce que la parole soit donnée à celui qui est aimé de Pauline et l’aime en retour. Et qu’une autre vérité soit dite…

Crescendo d’anéantissement, d’insolvabilité, d’irrésolution. Laurent Mauvignier écrit une douleur, une réalité, un besoin amplifié et dévastateur d’existence. Il aiguise le mal-être de ses personnages, laissant une rage non-dite percer dans ces creux d’incompréhension où ils sont tous engoncés. Un roman fort dont le malaise ne cesse de croître. La frustration d’une existence sans bonheur, où chacun se retrouve… seul.

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